Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/185

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— Et notre âme, donc ! Faut la sauver ! T’as pas compris la prêche du curé de la retraite, les longues fréquentations sont dangereuses : « Dans les flammes, mères coupables ! » que j’en ai encore le cœur tout par petits grains… Sans compter que le bonheur de Mariette est en jeu : il peut se présenter des bons partis que M. Jean lui fera perdre, s’il tarde à se déclarer. Allons, il faut que tu y dises.

— Je t’assure que je peux pas.

— Puisque t’es si poule mouillée, j’le pousserai au pied du mur, pas plus tard que ce soir.

La veillée fut morne. La partie manquait d’entrain. Les vieux, d’ordinaire si loquaces, jouaient mécaniquement sans dire un mot, sans lever les yeux de leur jeu. La fillette nerveuse, en voulant battre les cartes, les éparpilla sur les catalognes nuancées comme un arc-en-ciel. Chacun était mal à l’aise, le cœur pris dans un étau, écrasé par ce calme lourd, chargé d’électricité, qui précède les tempêtes. Neuf heures sonnèrent lentement à la grosse horloge. Tous se levèrent, comme mus par un ressort, afin d’échapper à la contrainte qui, pour la première fois, pesait sur ces réunions intimes.

— Restez, M. Jean, j’ai à vous parler, dit la mère en tremblant un peu, après avoir avalé et toussé pour s’éclaircir la gorge… Voilà tantôt un an que vous venez voir not’ fille, c’est bien de l’honneur nous faire, car vous êtes un garçon posé, instruit et distingué ; mais il faudrait connaître vos intentions.

— Mes intentions… Mais j’aime votre fille, madame, et, si le ciel le veut bien, je lui serai un bon petit mari.

Mariette avait affreusement pâli.