Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/210

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La pipe est la première conquête de l’homme, c’est pour cette raison qu’elle devient sa plus chère amie. Tout petit, le mioche convoite d’un œil ardent « la pipe à papa. » Sa menotte, en voulant la saisir, plus d’une fois s’est brûlée à la cendre rouge. Mais la vaccine de feu lui a mis au sang le désir plus âpre et plus violent de cette conquête. Ah ! comme il est comique, le petit homme, quand son papa cédant à ses cris, pour le consoler, lui pose son brûlot au bec. Il gonfle ses joues et fait pouf ! pouf ! dans la pipe. Il lance dans l’air des bouffées imaginaires et gravement :« Pft ! ze crace tom Papa. »

Qu’on lui donne un sou, il court chez la marchande du coin, et après une longue contemplation qui lui met l’eau à la bouche, il choisit une belle pipe en sucre rouge, qu’il suce jusqu’à ce que mort s’en suive !

Mais, il vient une époque, elle coïncide d’ordinaire avec la première culotte, où la pipe en sucre ne convient plus à sa dignité d’homme. Il lui faut tâter de la pipe en plâtre.

Ils sont deux ou trois gamins de l’Asile qui brûlent de s’initier au grand mystère. Un complot s’ourdit à l’insu de tous ; un petit vole des allumettes, un autre un vieux calumet, déterré on ne sait où, quoique vestige des jongleries iroquoises. Mais aucun n’a de tabac. Le nerf de la guerre manque, aussi les petites figures sont-elles mornes ! — Que faire ?

— Fumons des feuilles sèches, s’écrie un futur inventeur.

Les petits conspirateurs se réfugient dans l’ombre d’une porte-cochère.

Le gamin qui eut l’idée lumineuse (fumeuse ferait mieux) s’empare de la vieille pipe et la bourre avec conviction ; il frotte une allumette sur sa cuisse, mais comme