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bleu — blanc — rouge

nous traversions. La rue était mal pavée et coupée en deux par une mare, et les maisons bâties avec des toits écrasés semblaient vouloir rentrer sous terre. Comme le jour commençait à baisser, de loin en loin une lanterne tremblotait, semblable à un papillon jaune qui agonise en battant des ailes.

Le tintamarre de la ville, le sifflet des locomotives, le roulement des lourdes voitures allaient s’affaiblissant pour s’assoupir confondu dans un vague murmure comme le chantonnement lointain des chûtes. On se serait cru à dix lieues de Montréal, dans quelque tranquille petit village. Les gens s’interrogeaient sur le seuil des portes avec une intime familiarité.

— Beau temps, n’est ce pas ?

— Mais la pluie ne tardera pas.

— Comment va la petite ?

Ci et là de petits jardinets donnaient la note gaie ; de blanches maisonnettes disparaissaient sous la verdure et des enfants s’ébattaient sur l’herbe.

— Que c’est joli ! m’écriai-je, gagnée par l’admiration ! Croirait-on qu’on puisse ignorer de semblables coins de paradis ! Mais enfin, me diras-tu où nous allons ?

— C’est juste, tu te laisses conduire avec une docilité d’agneau qu’on mène à la boucherie. Mais nous arrivons. Vois cette masure à la veille de s’écrouler, entre ces deux gros arbres, c’est l’antre d’une sorcière, d’une cartomancienne en renom. Elle dit le passé, le présent, l’avenir. Nous allons la consulter, elle va lire dans le cœur de Paul comme dans un livre, je vais pouvoir sonder cet abîme de perfidie et d’hypocrisie et savoir le mot de l’intrigue qui menace mon bonheur.

— Mais, tu crois en ça, toi, Jeanne. Le Seigneur aurait écrit le destin des hommes sur des as, des valets, des