Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/26

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en porcelaine et change l’eau de la baignoire. Tout le jour, la bonne dame caquette, comme s’il pouvait la comprendre, l’innocent. — Bonjour mon petit enfant, dit-elle de sa voix chevrotante. T’as du chagrin… Là ! ne crains rien, je ne te veux pas de mal. Il ne fera pas beau aujourd’hui, hein ? — Déjeunez, monsieur, tout est prêt.

L’oiseau, en effet, semble connaître sa maîtresse ; il ne s’emporte pas en colère et en tumulte, heurtant ses ailes ébouriffées aux barreaux, ensanglantant son bec.

Quand viennent les jours ensoleillés, ma voisine accroche la cage à sa maison, et si quelque passant s’arrête charmé, elle ne se possède plus d’orgueilleuse satisfaction. Avide de spectateurs, la vieille dame m’interpelle :

— Ça va bien, ce matin, mamzelle ?…

Moi qui sais ce qu’elle veut, de répondre :

— Mais, oui, merci. Et le petit chanteur rossignole toujours ?

— Venez entendre ça !

Campée sur ses deux pieds, les mains sur les hanches, les yeux dilatés derrière ses lunettes, on dirait la caricature de l’extase. Deux ou trois tut, tut, très longs en guise d’ouverture, puis l’oiseau prélude en mineur, sotto voce. Des roulades s’égrènent de son gosier comme de petits remous rompant la nappe limpide de la mélodie aérienne. On dirait les soupirs brisés d’un cœur qui n’en peu plus et se pâme d’amour ou de douleur : entre ces deux états d’âme la différence est parfois imperceptible. Et tout finit dans un joyeux alleluia sonore, métallique, répété jusqu’à extinction du souffle…

— C’est merveilleux, fis-je à la vieille, béante d’extase. Mais ne croirait-on pas qu’il y a de la douleur dans ces chants ? Le regret, qui sait, d’un ciel éternellement bleu, de l’ombre parfumée des citronniers ?