Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
286
bleu — blanc — rouge

— Ça me dit qu’il va venir, soupire-t-elle.

Elle a fait elle-même le lit dans la grande chambre, un beau lit de duvet, qui monte comme une crème jusqu’au plafond. Elle place avec soin les hypocrites en dentelle qui retombent sur la courte-pointe, fleurie de dessins naïfs et bizarres, faits avec des petits morceaux d’indienne et met un morceau de savon neuf dans le savonnier, du tabac frais dans la blague

— Pourquoi te donner tant de trouble. Est ce que t’aurais reçu des nouvelles. Tu serais ben capable de n’en rien dire, vous avez toujours eu des secrets ensemble.

— Tiens, encore une idée !

Non, elle ne sait rien, mais son cœur parfois s’arrête de battre, une voix connue et aimée fait vibrer (siller comme elle dit) son oreille intérieure. Joyeuse, elle va de la salle à la cuisine, donne un coup d’époussetoir ici, redresse un cadre, goûte aux sauces, aiguise les couteaux. De temps à autre, elle ouvre le fourneau et se prosterne religieusement devant une belle oie rebondie qu’elle arrose avec conscience d’huile dorée. Par un mouvement instinctif, le vieux s’incline de même, l’œil brillant, l’eau à la bouche.

— Cristi ! le bel oiseau !

Maintenant, le vieux n’a plus qu’une pensée : le dîner.

— Midi moins un quart, nous attendrons jusqu’à midi juste… Ah ! les enfants ! pourquoi ça ne reste-t-y pas toujours petits.

Pour tromper son attente, le pauvre grand’père évoque de lointains souvenirs :

— T’en souviens-tu de ce jour de l’an, quand je lui avais acheté ce grand cheval de bois, sur lequel le petit se berçait en criant : « Who ! Gué ! » Il faisait claquer sa langue pour imiter le bruit du fouet. Et quand Jean était