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bleu — blanc — rouge

au collège et que j’allais le chercher pour la vacance. Le trajet de dix milles dans ma waggine qui cahotait à vous décrocher le cœur de l’estomac. À chaque soubresaut, un éclat de rire sortait du gosier de l’écolier ; en retournant, c’était un sanglot. Comme t’en avais des plans pour le garder une journée de plus ! Le petit était pâlot, chétif, il avait passé une mauvaise nuit, agité, fiévreux, ce serait cruauté à le renvoyer au collège ainsi…

— Mon Dieu, tout ça est loin !…

Soudain la vieille tressaille :

— As-tu entendu ?

— Quoi donc ?

— Il me semble, des pas… Mais je suis folle.

Elle le croit encore là, le cher enfant, elle ne l’a même jamais quitté. C’est une manie dont elle ne se guérira jamais, que de l’attendre toujours, de devenir anxieuse au moindre bruit qui fait craquer l’escalier.

— Allons, ma vieille, l’oie va sécher, quand même tu t’ostinerais à vouloir l’attendre, ça ne le fera pas venir… Ah ! le garnement, je gage qu’il n’aura pas un beau dîner comme ça !…

Il jette un coup d’œil ravi sur la table, blanche et parée comme un autel. Les fourchettes auxquelles manquent parfois un fourchon, sont reluisantes comme de l’argent. La vaisselle bleue où danse un rayon de soleil venu on dirait du gâteau doré s’étale majestueusement sur la table. Ah ! une merveille de gâteau tout sablé de sucre blanc et rose surmonté d’un panache en papier de soie rouge, car le vieux est libéral pur sang, à preuve qu’il déshériterait son Jean, s’il ne disait pas que Laurier est le plus grand homme du monde !…

Quand l’oie paraît radieuse et fumante en ses juteuses truculences, la peau fendillée et suintante, le vieux a un