Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
bleu — blanc — rouge

Les jeunes citadines auraient voulu être gratifiées d’un tampon d’ouate dans les oreilles. Mélancoliquement, elles regardent défiler le monotone paysage de la campagne, si triste à cette saison, engourdies par l’air frais du matin. Les vapeurs tombées de la nue s’entassent à l’horizon en amoncellements ouatés, le soleil affaibli comme un pauvre aigle blessé bat lourdement de l’aile et rase la terre, perdu dans une mer brumeuse. De loin en loin, une chaumière où traînent des bûches de bois, de vieux instruments aratoires. De petits porcs, la queue vrillée en tire-bouchon, tournent autour de leur mère somnolente sur le bord du fumier. Des oiseaux filent comme des traits dans l’espace qu’enferment les grands érables dénudés. Une odeur d’étable vous prend à la gorge. Quelque chapelle naïve, une grande croix de bois noirci découpe dans le ciel ses bras désespérés et bénit le voyageur qui s’incline en passant. Sur le chemin, quelques silhouettes de paysans, aux figures mâles, se découvrent silencieusement au passage des voitures.

— Le bois !… Le bois !… Les chevaux secouent leur harnais, heureux d’être rendus au terme de la course. On saute joyeusement à bas des voitures. Et tout en causant, on se rend à la petite cabane qui apparaît dans les arbres de la même couleur que le sol, avec un mince filet de fumée. Le parfum pénétrant du sucre bouillonnant emplit l’air frais du matin et vous guide au grand chaudron où l’eau d’érable se gonfle sous la flambée des branches crépitantes.

Tous viennent interroger la densité du liquide doré. La tire en a pour une bonne heure à se faire. En attendant on se disperse dans le bois, les couples vite formés recherchent la solitude des petits sentiers. Les deux jeunes demoiselles de la ville n’osent s’aventurer dans les profondeurs du bois avec ces rudes gaillards. Frissonnantes