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bleu — blanc — rouge

aux baisers de cette large bise, dont elles redoutent les morsures, elles se blottissent dans la cabane, près du feu, avec des envies de pleurer. Elles qui avaient rêvé pastorale ou idylle avec un berger à la Watteau, des promenades sentimentales dans les petits sentiers tapissés d’un gazon fin et souple, des mots d’amour murmurés au chant des sources filtrant au milieu d’une chevelure d’herbe haute. Cette terre pelée, ces arbres nus dont les maigres silhouettes entrelacent leurs linéaments noirs et rigides dans l’eau des mares encore jaunie par la fonte des neiges !… Ah ! que tout cela leur semble triste. Pour tromper leur ennui, elles causent avec le vieux bûcheron qui surveille le feu et la tire.

— S’il en faut de l’eau d’érable pour faire du sucre !… Voyez, comme on la recueille. À la fonte des neiges, on entaille les arbres et dans ces blessures peu profondes on enfonce de petits chalumeaux en bois qui aspirent la sève de l’arbre. Le forestier suspend en dessous une chaudière en fer blanc bien clair afin que le sirop ait belle couleur et bon goût. Et l’eau sucrée dégouline lentement du chalumeau dans le vaisseau. Approchez, buvez à même le gobelet d’écorce l’élixir de la santé et de la force. Envoyez-nous vos beaux messieurs de la ville, blêmes et felluettes, vous verrez comme nous vous les renverrons. Ah ! ce qu’il devient rare le vrai sucre du pays ; on fait de la contrefaçon ici même ; je connais des habitants qui mêlent de la cassonnade à l’eau d’érable, c’est pas de mon temps !… Mais la tire est faite ! Voyez vous-même…

— Ohé ! vous autres ! Le bûcheron arrache de sa gorge deux ou trois appels qui font gémir le bois. Et les couples apparaissent, essoufflés, la figure animée, tout vibrants de joie.

— Allons ! c’est moi qui fais goûter, dit un grand gaillard carré, solide, les muscles bien dessinés sous son