Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/334

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
326
bleu — blanc — rouge

comme une fourmilière, rayant la glace d’éclairs furtifs en décrivant un cercle oblong. Des silhouettes vont et viennent, se prennent les mains, dans un mutisme d’ombre. C’est une poussée continue, une fuite, une poursuite suivie d’enlacements bizarres qui vous brutalisent : un Méphisto entraîne une blanche communiante. Le pan rouge du manteau et le tissu de gaz flottent à l’unisson dans le vertige de la course affolée.

Un disciple de Cujas, aux gestes cassés, droit comme un automate, blottit sous l’aile de sa toge un minois chiffonné de soubrette. Une marquise poudrée, taille fine et grand air, jette les cascades de son rire clair comme un bruit de pièces d’or dans l’oreille d’un pierrot blême, grand oiseau aquatique qui pirouette tantôt sur une patte, tantôt sur une autre. Une bayadère vêtue d’une jupe en tulle, les bras en guirlande, baigne sa gorge de lumières. Des fillettes ingénues, que déshabillent des costumes de chimères, seize ans aux fraises, qui sait !… De vieux Adonis, jambes grêles, épaules rentrées, têtes chauves sous des perruques blondes, yeux brillants à travers le velours du loup, poursuivent cette volée d’oiseaux blancs !

Les vers luisants des lanternes peintes mêlés aux lueurs blafardes des lampes voltaïques brûlent comme des torches mortuaires, donnant à ces faces ruisselantes de sueur, livides sous le fard, l’apparence des damnés de Dante. Évocation d’un sabbat antique, les lutins, les sorcières, dansent dans une ronde effrénée autour de l’étuve de flamme, aux cris des hiboux, aux sonneries des grelots, aux ricanements de crécelle des diablotins ! Ballet infernal, que conduit Lucifer, aux grondements du tonnerre, dans le flamboiement des éclairs.

Penchée au-dessus du patinoir, il me semblait qu’une odeur de soufre montait à la surface ; je croyais entendre