Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/37

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vance à petit pas, regarde longuement le bébé, comme pour pénétrer le mystère qui brutalise sa faible raison, elle étend le bras pour toucher cette drôle de chose, et le retire, prise d’une étrange frayeur… Enfin, n’y tenant plus, elle hasarde une question timidement, puis une autre, puis vingt ; la digue une fois rompue le torrent s’écoule :

— Combien l’a-t-on payé ? — Une piastre !… C’est bien cher ! — Si l’on avait attendu après le jour de l’an, comme pour sa poupée, on l’aurait eu à moitié prix. — Les sauvages eux, où les prennent-ils les bébés ? Pourquoi l’ont-ils peinturé en rouge comme ça ?…

— Puis, quand le bébé endosse le manteau brodé et que sa petite tête disparait dans le bonnet gros comme le poing, la fillette saute de joie :

— Ah ! ah ! il s’en va !…

La mère, dont le cœur veille, a compris le petit drame qui se joue dans l’âme de la fillette. Elle l’appelle doucement, prend sa tête à deux mains, et lui parle à voix basse.

« C’est un petit frère que le petit Jésus lui envoie — il faut bien l’aimer, car il sera gentil. Et plus tard, elle le lui prêtera, pour le bercer, l’endormir en lui chantant de belles chansons !

Ingénieuse tendresse des mères : Elle lui prêterait le bébé. Le mot fit un miracle. La petite eut la vision de quelque chose à serrer dans ses bras, à aimer, à caresser, à protéger. Une gravité attendrie enveloppe ses traits ingénus de petite femme s’éveillant à la vie du cœur.

La fillette s’approche de la matrone :

— Donne, que j’embrasse mon bébé…

La porte de la chambre s’entrouvre avec fracas, laissant pénétrer des éclats d’une joie bruyante mêlée au cliquetis des verres. Un homme paraît, savonné,