Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/36

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sur la table, et Minette, les yeux fermés, ronronnant de bonheur, étend délicatement sa patte blanche vers le plat, avec des allures de prestidigitateur. D’un coup de griffe, elle ramène les débris du repas, qui disparaissent comme par enchantement au fond de sa gueule rose. Dans la pénombre d’un jour adouci par le blanc laiteux des rideaux de cotonnade, une femme, dont la pâleur se confond avec la blancheur des oreillers, repose, les yeux mi-clos, un sourire lointain sur ses lèvres décolorées. À travers ses paupières, filtre un long regard d’amour tombant sur l’enfant, que la bonne femme tourne et retourne sur ses genoux, empaquetant comme une momie ce petit bout d’homme qui vagit sans interruption, woin ! woin !… Parfois, elle s’interrompt dans sa besogne pour s’exclamer, la bouche pleine d’épingles.

— Est il beau c’t’enfant, r’gardez moé c’te carréture d’épaules, quel fier gars ça va faire, hein ! Et puis, une voix !… que ça va relever son grand’père comme maître chantre. Mais c’est ben le père tout recopié, ses yeux, son nez, sa bouche, y pourra pas le r’nier çui là.

Dans un coin de la chambre, une fillette de cinq ans, maussade et rechignée, regarde de loin le nouvel arrivant, de ses grands yeux surpris, où demeure encore un coin de ciel.

— D’où vient il ? Pourquoi lui a-t-on donné sa place près de sa maman, qui lui sourit et l’embrasse plus souvent qu’elle. Ce marmot rouge n’est pas beau, ni bon, puis il grimace et crie bien fort, sans écouter la vieille femme.

— Ah ! ah !… ne pleure pas mon beau mignon.

On ne le connaissait pas hier, cet étranger, et il accapare tout maintenant.

La jalousie lui mord le cœur, mais elle fait sa brave ; elle veut savoir… Croyant que sa maman dort, elle s’a-