Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/48

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du marché, prend une croquette ici, une bouchée là. Et sa vie est faite, à cet oiseau !

— Une jeune mariée, quelle veine ! Je vais lui passer ma poule qui a une tache bleue sous l’aile.

— Ma belle dame par icite ! Faites donc un bon petit bouillon à votre mari. Voyez la jolie poulette, ça a les yeux clair, c’est gras, c’est tendre comme de la rosée… Vous m’en direz des nouvelles…

Et la poulette prestement enveloppée dans une vieille « Presse » est couchée dans le mignon panier, à côté d’un pied de laitue, d’un pain de sucre du pays, d’un bouquet de persil.

La petite dame s’en retourne en faisant dandiner sa tournure avec importance.

La cohue des acheteurs s’éclaircit, des groupes se forment, on cause bruyamment de la politique, de l’apparence des récoltes, en mangeant des mains à la melasse, arrosées de petite bière d’épinette. Ces braves gens sont pessimistes. Trop de pluie ! Le foin a belle apparence, mais le blé sera rouillé, le sarrasin ne rendra guère ! Les vers mangent les choux !…

— Laurier, c’est le coq des Canadiens, c’est lui qui va régler l’affaire des Boers. Le roi ne peut pas s’en passer, il va lui faire bâtir un château à côté du sien ; les petits Laurier joueront à la tague avec les bambins royaux, etc…

Le flot tumultueux a changé de direction, il envahit la place Jacques-Cartier. Comme toutes ces bonnes gens s’en retournent heureux, les bras chargés de victuailles, de légumes, de fleurs et de verdure ! On dirait une procession jubilaire en l’honneur de notre sainte mère Nature.

Les habitants remontent joyeux dans leurs voitures allégées, le fouet claque dans l’air, les éclats de rire des