Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/47

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barré bleu et blanc, avec le mouchoir rouge et la tabatière, il semble qu’elles aient poussé avec tous ces légumes amoncelés à leurs pieds.

La femme est reine sur le marché. Le mari a abdiqué ses droits. Assis à la turque, sur le derrière de sa charrette tout en fumant sa pipe, il suit, les évolutions de la vendeuse. Le rusé matois, il rit dans sa barbe, quand la fermière a réussi à retaper ces gens de la ville !

Les acheteurs se bousculent, s’écrasent, piaillent, s’arrêtent à chaque étalage, gouttent au beurre frais, soupèsent les volailles, mirent les œufs, flairent la saucisse.

— Combien le boudin ?

— Deux sous le bout.

— C’est vingt sous pour 12 bouts.

— Non, vingt-quatre sous.

— Allons la mère, vingt sous vous paieraient.

— Vingt-quatre sous, pas une coppe de moins.

— Vingt-et-un, amenez vite ! les femmes gagnent toujours.

— Pas moyen ! c’est vingt-quatre sous. Pensez donc, les épices, le lard, la bonne crème que je mets dedans, car c’est pas du boudin commun, allez !

— Mon dernier mot : prenez-vous vingt-trois sous !… Non ? — Allons, comme le marché tire à sa fin, il va vous rester sur les bras, pour engraisser votre terre. L’acheteur feint de s’en aller. La marchande lui court après.

— Amenez vos vingt-trois sous — grand braillard — j’y perds, mais c’est pour vous encourager à revenir.

— C’est y de la bonne monnaie, regarde donc Todore. Il est bien payé, souffle-t-elle à son mari, le malheureux boudin commençait à sentir.

Todore, lâche donc ta pipe un peu, regarde-moi cet escogriffe qui s’en vient, c’est un goutteux. Il fait le tour