Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/66

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du mort semble passée dans la végétation où il n’y a plus qu’un immense baiser de ce qu’il était hier. L’ombre se fait solennelle en pénétrant dans le caveau de saules où se dresse un sarcophage en pierre, majestueux dans sa simplicité, mais d’une fierté orgueilleuse qui semble défier le mépris et la haine comme les orties et les hautes herbes tentant vainement de l’envahir. Un rayon lumineux filtre à travers l’épais taillis et tombe sur l’inscription. Je lis :

L’Honorable P. de Boucherville, Conseiller Législatif, dont les
cendres reposent sous cette pierre, 1852.

Le feuillage sombre des saules pend tristement sur le monument comme des larmes lourdes et lasses. Il semble que dans le silence profond on entende les soupirs de la tombe. Les blés ondulent avec un léger prosternement, l’aile de l’hirondelle caresse le mausolée. Et seule, je serais restée droite ? Non, mes genoux ont ployé, j’ai collé mon front contre la balustrade et j’ai dit une prière pour le mort altier, qui dort chez lui son grand sommeil de paix.

Je me suis souvenue de la leçon de tolérance donnée par Léon XIII au monde catholique. L’auteur de la Vie de Jésus venait de mourir.

— S’est-il reconnu, demande le Saint-Père à un cardinal ?

— Hélas ! il est mort tel qu’il a vécu !

— Tant mieux, reprend Léon XIII, c’est la preuve qu’il était sincère et Dieu lui fera miséricorde.

Pourquoi M. de Boucherville s’est-il exilé de ses frères ? Je n’en sais rien. Eut il tort ou raison, je l’ignore. Mais à coup sûr il fut sincère, comme l’étaient nos pères qui savaient mourir pour un principe et sceller de