Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/75

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corps saurait-il river l’âme à la terre et l’empêcher de planer plus haut que l’aigle, et de fendre les couches des éthers comme une flèche, allant de Jupiter à Mars, sur le véhicule d’une pensée, avec la rapidité de l’éclair. Peut-être ces heureux fous ont-ils pour nous une suprême pitié, pauvres chenilles, qui n’avons pas comme eux des ailes de papillon pour fuir les misères de cette triste planète.

Mais pénétrons dans le temple de la folie. Un froid sépulcral vous glace les os en longeant ces interminables couloirs où les personnes qui passent à l’autre bout vous paraissent de la grosseur des mouches. Il semble que la baguette d’un enchanteur vient de vous transporter dans un souterrain d’Aladin, où tout s’anime par le souffle d’un génie invisible. Des vibrations étouffées font trembler le sol comme les efforts de quelques gigantesques Titans, capables de soulever le globe terrestre sur leurs puissantes épaules : ce sont les machines pneumatiques, les dynamos, les moteurs d’électricité, dont le sang embrasé court dans un réseau de calorifères et de fils de cuivre, distribuant la chaleur et la lumière dans l’immense édifice. Aux jours de décembre et de janvier, une douce tiédeur de serre règne partout, et cette triste végétation, qu’un bizarre caprice de la nature fait croître sur la souche la plus saine, peut s’épanouir en toute liberté, hors de sa terre natale, protégée par la charité de ces bonnes religieuses dont la sainteté est pour elle un rayon de soleil.

Tout est réglé avec un ordre admirable. Ingénieurs, gardiens, religieuses, semblent mus par le même courant électrique qui régit les êtres comme les choses. Les monstres voltaïques geignent sourdement en accomplissant leur œuvre créatrice, mais ils se font dociles sous la main blanche et douce d’une religieuse, laquelle sait tempérer leur force toute-puissante.