Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/81

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destinée à l’un des combattants. C’est vrai que dans une joute aussi courtoise, où l’on se bat à coups de fleurs de rhétorique, ce genre de horions ne fait pas des bobos inguérissables, comme dirait l’ami Paul Hyssons !…

Je vais imiter le procédé conciliateur de nos grand’mères : M. Lefranc et M. D…, donnez-vous l’accolade. Assez chicaner sur les mots ; vos âmes éprises toutes deux d’idéal méritent de s’entendre.

Approchez, maintenant, M. D…, que je vous tâte le pouls. Hum ! hum !… Symptômes graves !… Votre langue… vous l’avez montrée déjà… Pas trop bonne… Essayez de rester sans parler quelques minutes, avec ce thermomètre dans la bouche, c’est facile : un homme !… De la fièvre, 110 degrés… Procédons avec ordre, je crois que nous sommes en présence d’un beau cas d’atavisme. Votre père était un homme d’esprit, ça se voit, et votre mère, avez-vous dit, une femme de lettres douce, sentimentale, poétique. Je le devine, et vous avez hérité de ses tendances idéalistes qui se traduisent en imprécations et en blasphèmes de ne pouvoir incarner votre rêve. N’est-ce pas ?… Vous êtes comme le bambin qui trépigne de rage parce que le bon Dieu ne veut pas lui donner la telle lune d’or pour jouer. Mais souvenez-vous : Saul qui maudissait le Christ, était bien près de l’adorer. Aussi, je ne désespère pas qu’un jour vous aurez votre chemin de Damas. Vous tomberez à genoux, aveuglé par un rayon de la sainte lumière. Vous vous relèverez transfiguré, croyant jusqu’au martyre. Amen !

En attendant, vous êtes agité, fiévreux ; vous extravaguez, comme disent les bonnes femmes, c’est que vous avez le mal d’amour !… Le mot est lâché : tant pis, je ne voulais pas le dire — Vous éprouvez ce malaise des délicats que heurte le prosaïsme vulgaire des choses de la vie journalière, vous qui aimez le beau jusque dans la manière