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Page:Côté - La Terre ancestrale, 1933.djvu/131

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la terre ancestrale

rons pas le voyage ce soir ; demain est là.

Recevant dans ses bras sa fille qui lestement sautait de la fourragère, il la baisa au front, la pressa contre sa poitrine.

— Enfant, dit-il, je suis chanceux de t’avoir !

De grosses larmes coulaient sur ses joues brunies, les premières peut-être qu’il se rappelât avoir versées. Il fallait que, chez ce rude homme, l’émotion fût bien grande, pour qu’il la laissât paraître ainsi. Dans sa famille, les bras masculins n’avaient jamais manqué à la terre, les femmes ne s’étaient toujours occupées que des soins du ménage ; aussi le vieillard souffrait de voir sa brave fille s’éreinter aux dures besognes. La réalité, l’avenir, comme sur un tableau, se révélèrent tout à coup à son esprit ; l’agonie de sa terre par la mort de sa race, la fin prochaine d’un bien qui ne vivait plus que par les derniers soins d’un vieillard, l’écroulement de son patrimoine, avec sa chute à lui. Puis, cette vaillante enfant qui ne pourrait lui donner des petits-fils de son nom, qui ne pourrait le continuer.

Après les soins donnés aux animaux, le souper pris, Jean Rioux retourna à sa grange. Il lui répugnait d’attendre au lendemain pour vider ce voyage ; la chose ne lui était jamais arrivée, c’était comme un affront à sa force. Malgré sa fatigue, il s’acharna à la besogne.