Aller au contenu

Page:Côté - Papineau, son influence sur la pensée canadienne, 1924.djvu/101

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
Papineau

On se plaignait à Lemaître de la variabilité de son caractère.

— Vous ne seriez pas de si belle humeur, dit-il, si vous veniez passer quatre mois sous les verroux.

Le brave type ! Il daignait encore s’accuser d’avoir le visage comme une porte de prison quand son patriotisme l’avait martyrisé et ruiné. Est-il croyable que notre journalisme puisse se réclamer de pareils ascendants ! Au lieu de mourir pour ses principes, il en vit gras et dodu. Comme notre presse a dégénéré depuis ce temps.

On se demande comment la révolution a pu éclater en même temps aux quatre coins de la province et même se propager dans le Haut-Canada, car Papineau après tout ne pouvait remplir le ciel et la terre. C’étaient ces petites gazettes grandes comme la main qui essaimaient partout les principes libertaires.

Sur le bateau de Laprairie, la plupart des habitants achetaient les journaux pour se les faire lire par le clerc du village. Souvent on leur jouait des tours : des agents du Mercury ou du Transcript montaient sur ces bateaux et remplaçaient les gazettes patriotes par leur vieille marchandise. Nos habitants achetaient sans compter, à la ronde, car en revenant du marché, ils avaient le gousset sonnant et le cœur sur la main. Si, par hasard, un des voyageurs qui savait lire, éventait la mèche, le vendeur recevait sur la tête une avalanche de papier déchiré, avec des bordées d’injures.

Ce n’étaient pas des articles savants, ni d’une longue haleine qu’on lisait dans ces journaux. Il fallait une forme plus rapide, plus agressive, plus inflammable pour réveiller la placidité de nos habitants. Cette prose était frondeuse, accessible à tous, et sans prétention littéraire. Quand on n’osait pas attaquer directement le gouvernement, les hommes publics, les obscurs agents de l’Angleterre, on vantait la république américaine, ses institutions, sa civilisation avancée, pour mettre en lumière, par ces comparaisons sournoises, les vices de l’oligarchie, la ploutocratie anglaise, la vénalité et les dessous ténébreux de l’administration de ces êtres de proie. Par les procédés d’agression indirecte et d’allusions qui paraissaient inno-