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Le procès Guibord

pénétrer dans la nécropole le cadavre frappé d’interdiction. Les croque-morts le remirent dans le chariot et le dirigèrent vers le cimetière protestant, où après de courts préliminaires avec les autorités il fut temporairement inhumé.

Quelques jours plus tard, la veuve Guibord prit des procédures contre la fabrique de Notre-Dame pour la contraindre à placer les restes de son mari en terre sainte. La cause fut portée en Cour supérieure, présidée par le juge Mondelet. MM. Joseph Doutre et Laflamme étaient les avocats de la demanderesse, MM. Cassidy, Jetté et F. X. Trudel représentaient la fabrique de Notre-Dame. Après d’éloquentes plaidoiries de part et d’autre, le magistrat donna raison à la veuve Guibord. La cause fut portée en cour de révision et le jugement, cette fois, rendu en faveur de la fabrique. M. Doutre ne se compta pas pour battu ; il en appela de ce verdict à la cour du Banc de la Reine. Il se passa à ce nouveau procès un accident sans précédent dans les annales judiciaires. M. Doutre demanda la révocation des quatre magistrats catholiques sur cinq dont se composait le tribunal. Le savant avocat soutint que leurs convictions religieuses les mettaient dans l’impossibilité de juger avec équité, attendu que le Syllabus de 1864 enseigne que l’État ne possède aucune autorité, même indirectement, en matières religieuses, et qu’en cas de conflit entre les deux autorités civile et religieuse, la dernière doit prévaloir : « Comme le public ne sait pas si les juges sont les représentants de la Couronne ou du Saint-Siège, dans le doute, je récuse, conclut Doutre, l’autorité des juges Duval, Caron, Drummond, Monck, du présent tribunal. » Le jugement définitif dans cette cause célèbre fut rendu par le Conseil privé d’Angleterre, en faveur de Dame Henriette Brown, veuve Guibord, qui, dans l’intervalle, avait précédé son mari dans la tombe bien que décédée trois ans après lui. La fabrique Notre-Dame fut condamnée à payer à l’Institut canadien les frais encourus par les quatre procès, et à enterrer dans le cimetière catholique le corps de feu Joseph Guibord. Le jugement des Lords, très élaboré, et dans une forme modérée, offre des renseignements intéres-