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Papineau

mieux attribuer notre délivrance à un miracle que de la devoir au courage de nos héros, qui la méritèrent par leur dévouement, leur générosité et leurs souffrances. Amour de la liberté et de la patrie, foi dans la survivance de notre race ! Un peuple qui porte tout cela dans son cœur peut bien délirer par moments ! Quel cerveau ne se troublerait pas aux fumées d’un vin aussi capiteux !…

Les hommes qui firent la révolution différaient de ceux qui en conçurent l’idée. C’étaient des gens d’ignorance, robustes, plus préoccupés du but que des moyens à prendre pour l’atteindre. Dans le vide de leurs cerveaux frustres, deux ou trois paroles enflammées de Papineau sonnaient comme des grelots. Ils ne soupçonnaient pas l’infinie complexité des problèmes sociaux, à la réalisation desquels ils travaillaient obscurément. Gens de la glèbe, jardiniers, agriculteurs et bûcherons, ils avaient cultivé la terre, sans regarder par dessus la charrue. On leur disait qu’ils avaient des droits imprescriptibles à ce sol par eux fécondé, et dont ils étaient les premiers occupants. Ils se croyaient des vaincus ; on leur fit comprendre qu’il ne tenait qu’à eux d’imposer leurs conditions aux maîtres.

À époques fixes, Papineau avait passé dans les campagnes pour préparer les voies au grand événement. Ses paroles avaient fermenté tout au fond de leur âme comme le raisin au temps des vendanges. Les simples, les voilà partis, galopant à brides abattues sur leur chimère, à travers l’impossible, en plein champ d’enthousiasme. Chaque jour, s’ancrait en eux la résolution de résister par tous les moyens à l’envahissement de l’étranger. Les visites de Papineau ne suffisaient plus à alimenter leur flamme dévorante ; ils prenaient le moindre prétexte pour se réunir et parler en petits et en grands comités afin de traiter de la question passionnante qui hantait continuellement leur esprit. Sur le perron de l’église, le dimanche, à l’auberge du village, sur la place du marché, ils se portaient en foule, pour entendre le récit des griefs de chacun et se communiquer les dernières nouvelles de la situation politique. Papineau n’était pas seul à prêcher l’évangile de la révolution :