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La Révolution Canadienne

son esprit était passé en d’innombrables disciples. Par ces nouvelles voix, il parlait à tout le Canada à la fois.

Comme on s’y attendait, l’insurrection éclata à Montréal, chauffé à blanc par le chef révolutionnaire et témoin des exploits belliqueux de la soldatesque anglaise. Un simple incident, provoqué par les Fils de la Liberté, mit le feu aux poudres. Les membres de cette société se recrutaient parmi les hommes de profession, les bourgeois, et les libéraux éclairés, qui voulaient des réformes à tout prix. Elle se grossit ensuite de tous les mécontents, à quelque classe qu’ils appartinssent, tous amateurs de discours violents. Il arrive que des gens turbulents et emportés sont inoffensifs tant qu’ils sont dispersés, mais groupez-les c’est autre chose. Ils s’excitent les uns les autres, et se portent à des actes regrettables. Un instinct sûr amenait là les haineux, les vindicatifs, tous ceux qui avaient eu maille à partir avec les autorités, et ils étaient nombreux, trop heureux de servir les rancunes d’autrui et de venger en même temps leurs griefs personnels. L’association leur fournissait une tribune pour exhaler leurs récriminations. Un auditoire, animé des mêmes haines, frémissait des mêmes espérances. C’étaient des conspirateurs, en somme, qui se faufilaient à l’ombre des maisons, entre chien et loup, pour assister aux séances tenues secrètes. Parmi eux, on comptait un certain nombre d’imberbes avec la gravité d’hommes mûrs, pénétrés de la grandeur de leur mission. Au milieu d’un air épais, saturé de fortes odeurs de tabac, l’assemblée s’agitait dans sa hâte d’entendre l’orateur — n’importe qui — car tous pour l’occasion étaient orateurs. On applaudissait tout le temps, avant, pendant et après le discours, et l’on faisait ensuite une ovation à l’orateur. Parfois, un délégué des sociétés-sœurs lisait un rapport des nouvelles opérations dans les campagnes, mais la « maison mère », comme ils l’appelaient, était à Montréal. Là, s’élaborait la pensée directrice, que l’on transmettait ensuite aux sociétés affiliées. Ainsi, s’était formé comme un réseau souple et serré, au centre duquel se trouvait Papineau. Une sorte de toile d’araignée enlaçait tout le district de Montréal.