CHAPITRE XX.
PAPINEAU EN EXIL.
C’est terrible d’être soudainement projeté hors de son orbite et après des années de lutte intensive de se trouver extériorisé de l’action et réduit à ne plus suivre les événements où l’on a été mêlé, pas même du gros bout de la lorgnette. Être prisonnier sur le rocher de l’Île Sainte-Hélène ou sur l’Île de Guernesey, entendre les rumeurs de l’océan, regarder défiler ses vagues moutonneuses, calmes et dociles comme des pensionnaires, ou bruyantes et tapageuses ainsi que des étudiants, c’est avoir l’illusion d’un public !… Papineau, après un voyage mouvementé dans la forêt qui longeait la frontière, toucha enfin la libre terre de la république américaine. Il n’éprouvait que peu de joie de se savoir hors d’atteinte de ses ennemis.
Le ronron des filatures, le nasillement des scieries, le grondement des hauts-fourneaux ; le contraste de ces villes prospères avec l’agitation stérile de celles qu’il venait de laisser, lui étreignait le cœur. Il se disait avec tristesse que ce pays dont la civilisation était plus jeune que celle du Canada avait déjà eu la puissance de s’émanciper… Partout des écoles spacieuses où s’abritait la jeunesse studieuse, des noyaux de bibliothèques, des embryons de musées semblaient d’un bon augure pour l’avenir de ce vaste et magnifique pays. Est-ce qu’à l’ombre bienfaisante de la république de Franklin, la petite république canadienne, protégée, comme la Suisse, par le bon vouloir de ses voisins, n’aurait pas pu grandir et prospérer ?