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Papineau

ralistes du jour, c’était sa mystique, elle le posséda tout entier. Il lui importait peu d’en être le premier consul, le dictateur ou le président, puisqu’il avait pratiquement abdiqué entre les mains de Nelson, mais il voulait voir le nouveau règne de la démocratie dont celle des États-Unis lui paraissait être le prototype. Il avait vu de ses yeux que c’est dans ce creuset que les peuples, venus de partout se mêlent, se fondent, pour en sortir purifiés et débarrassés de leur gangue. En prenant contact avec cette population homogène et bon enfant, plus affinée à chaque génération, dont la joie de vivre éclatait par tous les pores et qui s’épanouissait librement, il pensait à cette autre, mieux douée, supérieure d’instincts qui s’anémiait à quelques milles de distance, privée d’instruction et de liberté, vouée au dur labeur des champs, pauvre et mal nourrie. Plutôt que d’accuser le sort d’injustice, il s’en prenait à cette forme de gouvernement qui autorisait et légalisait toutes les tyrannies. Il suivait de loin les tragiques événements qui se déroulaient dans son pays ; il vivait la douloureuse passion de ses disciples et les phases angoissantes de son rêve fait chair. Il s’isolait dans un deuil sévère. Nous avons eu l’avantage de connaître un de ses compagnons d’infortune sur la terre d’exil ; il nous disait que dans toute la durée de son séjour à l’étranger personne ne l’avait jamais vu sourire. Il souffrait physiquement des maux qu’enduraient ses compatriotes, au point qu’à la longue, ses traits s’étaient contractés et qu’un pli douloureux, qui ne s’est jamais effacé, meurtrissait le coin de sa bouche. Ceux qui ont prétendu que Papineau s’était endormi dans les délices de Capoue pendant que les autres montaient le Golgotha ont odieusement menti. Jamais peut-être il n’a autant souffert, sans se repentir, car il avait la raison trop droite pour se donner tort, quand la justice avait inspiré ses actes. Seule la fatalité avait voulu que tant de nobles victimes fussent broyées sous l’impitoyable roue du progrès à laquelle il avait imprimé le premier mouvement. Pourquoi aurait-il regretté d’avoir voulu la libération des siens et le bonheur de sa patrie ? Mais quand il lut le testament de DeLorimier, arrivé à ce passa-