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Papineau en exil

gleterre. Libérés de sa tyrannie, ils tenaient à conserver avec elle des relations commerciales. Papineau eut une des grandes déceptions de sa vie, quand il découvrit l’indignité ou l’inconscience des hommes qu’il avait placés si haut dans son admiration. Vus à travers son rêve démocratique, ils semblaient bien différents de ce qu’ils étaient en réalité. Soldat du verbe, rompu aux joutes oratoires, il avait cru avoir la partie belle avec les maîtres du Capitole, comme avec les lords d’Angleterre, mais il s’aperçut bien vite de l’infériorité de ces marchands de Chicago, de ces magnats de la finance new-yorkaise, comparés aux hommes d’état anglo-saxons, accessibles à l’élévation de sentiments, aux considérations philosophiques, aux idées libérales du siècle.

Il avait été discuté à Londres. On l’écouta distraitement à Washington, lui le grand seigneur de la politique. Il fut blessé de la vulgarité, de la mesquinerie, de la dureté, de la mauvaise foi de ces parvenus qui lui avaient tacitement promis leur appui et se dérobaient au moment de faire honneur à leurs engagements. Il comprit que les droits sont un vain mot si les peuples ne sont pas assez forts pour les défendre. Quand un pays veut avoir son indépendance, il ne doit compter que sur lui-même. Malgré l’aide de la France, la Pologne et l’Irlande sont toujours esclaves. Si le Canada veut se libérer, il lui faut, par sa propre puissance, soulever le couvercle du sépulcre qui le garde dans la nuit du tombeau.

Papineau perdit la dernière et la plus chère de ses illusions, mais comme ces croyants qui font de spécieuses distinctions entre le prêtre et la religion, il accusait les membres du congrès de déloyauté, sans tenir rigueur à sa République idéale, restée belle et pure malgré l’indignité de ses ministres. Il crut en elle jusqu’à sa mort. Son âme profondément religieuse sentait le besoin de se rattacher à un culte quelconque. Il n’était pas de ceux qui veulent éteindre les étoiles au Ciel, il en aurait plutôt allumé d’autres pour satisfaire à son besoin d’adoration. Il croyait au progrès, au perfectionnement humain. Il voyait la république à travers les philosophes de l’antiquité et les mo-