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Retour de l’exil

glants. Après avoir enfantée une nouvelle humanité, il lui semblait qu’elle avait bien mérité de se reposer. La question de la libération du Canada semblait de peu d’importance, comparée à celle de la société tout entière. Il comprit que nos problèmes étaient sans intérêt pour elle. Du séjour de Papineau en France, on sait peu de chose. Dans la vie publique des grands hommes, il y a toujours une période d’ombre. La vie cachée du Christ, celle de Christophe Colomb et de combien d’autres, recèle un mystère que nul n’a pénétré, périodes de concentration, qui sait où l’être prend pleine possession de lui-même. Mais d’après le bagage d’érudition que Papineau possédait sur le déclin de ses jours on peut conjecturer qu’il tenta de combler la solitude désolée de son âme par l’étude. Ce dut être une bien grande jouissance pour cet exilé de prendre contact avec des auteurs dont les noms même lui étaient inconnus. Cet homme qui avait prêché la liberté en ignorait le sens. Il subissait la tyrannie des foules qu’il dominait. Enfin il s’appartenait !… Il pourrait s’absorber en lui-même et s’assimiler par la réflexion le savoir qui lui manquait. Il avait vécu sur son propre fonds. Si riche qu’on soit, on sent à un moment donné la nécessité de se renouveler. Papineau ne laissa pas passer l’occasion de combler les lacunes de son instruction. Il mit à contribution les trésors littéraires de la mère-patrie. Mais il n’était pas tellement pris par l’étude qu’il restât sourd aux appels de la patrie. À quelque distance qu’on soit, on ne peut guère résister à ces suggestions impérieuses des âmes. Il lui semblait que la terre hospitalière de France, depuis quelque temps, lui brûlait les pieds. Il entendait des voix lointaines et la résonance de son nom répété par un millier d’hommes. Sa taille courbée se redressa ; ses yeux lancèrent des éclairs, ses cheveux jetèrent des étincelles électriques :

— « Me voici !… » fit-il, comme Jeanne d’Arc à ses saintes.

Sans tarder, il prit le premier bateau qui faisait voile pour le Canada, partagé entre la joie et l’anxiété à la pensée de revoir son pays. À entendre les battements tumultueux de son