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Papineau

toutefois qu’il faut s’en prendre à la démocratie elle-même, plutôt qu’aux partis, de la déchéance du concept libéral et de l’incohérence de la politique, depuis un demi-siècle. Fille de la liberté, elle empêche cependant le règne de la liberté. Le suffrage universel, pour un jeune peuple privé des bienfaits de l’instruction obligatoire est un obstacle à son évolution. L’urne électorale nous apporte infailliblement de désagréables surprises.

Les principes ne sont pas enfermés dans un tabernacle à l’abri des profanations du vulgaire. Ils n’ont pas été inscrits dans l’airain ou dans le marbre. Ils s’incarnent suivant la fantaisie des mains qui se posent sur eux. Une fois investis de l’autorité, les élus du peuple en font parfois un étrange usage quand ils réalisent qu’il existe des combinaisons autres que le bien public, plus conformes à leurs appétits et à leurs ambitions.

Nous nous plaignons avec raison de l’absence d’idéal dans la politique mais, quand on sait dans quelle eau trouble, dans quels bas-fonds souvent, on va pêcher nos hommes publics, on n’a pas lieu de s’en étonner. Ces recrues du scrutin ont perdu et perverti les partis. Avons-nous été capables d’envoyer au pouvoir les plus probes, les plus instruits, les plus dignes d’entre nous ? Ceux que le raz-de-marée des élections jetaient sur Québec, quand ils ne répondaient pas à la confiance qu’on avait mise en eux, avons-nous été capables de les rendre au flot qui nous les avait apportés ? N’avons-nous pas été obligés, au contraire, de les subir durant des années, malgré la volonté de l’élite ? Quand des honnêtes gens tombaient dans le filet électoral, leur influence souvent fut neutralisée par un élément contraire. Comme la politique est devenue une carrière qui demande plus d’audace que d’esprit et de capacité, devons-nous être surpris qu’un si grand nombre de gens inférieurs l’aient embrassée ? Il est évident que le système électoral fonctionne défectueusement et qu’il faudra avant peu avoir recours à l’expédient de Faguet, exiger du candidat aux affaires publiques un diplôme en sciences économiques, politiques et morales, si l’on ne veut pas compromettre l’existence de l’œuvre de nos pères.