Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/184

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à Pontarlier et que la main des hommes a jetée, comme une écharpe, autour de la taille du Jura 89 géant. J’approchais des frontières françaises. Déjà le vent des monts m’apportait le parfum des mélèzes et de l’herbe aromatique. J’entendais le torrent mugir dans les profondeurs de l’abîme, et parfois je le distinguais au milieu des rocs boisés, comme une veine profonde entre deux os de la main d’un vieillard. Déjà je me croyais en Suisse.

Beau val d’Ornans ! entrailles de granit que déchira la foudre, et dont l’eau vint ensuite rafraîchir les blessures ! Blancs villages adossés au squelette de la nature, et qui puisez dans les eaux la richesse et la fécondité ! Un jour je vous reverrai libres comme le ciel et le Jura qui vous protègent ! C’est au milieu des grands bouleversements de la terre que les grandes révoltes naissent. Rien, pas même le Grutli consacré, n’a pu me faire oublier la vallée sauvage où je respirai pour la première fois ton souffle vif et pur, ô liberté des monts !

Dans ces temps de guerre civile, les frontières de France étaient hérissées de douaniers. Les plus habiles limiers avaient été envoyés dans toutes les directions pour traquer les proscrits. Il me fallait passer à travers les mailles serrées du filet. Tout petit poisson que j’étais, j’eusse été de bonne prise ; et la main crochue de la police ne m’aurait pas relâché pour me laisser grandir.

À Paris, mes amis m’avaient recommandé aux soins d’un conducteur grâce auquel mon voyage s’était effectué jusque-là sans obstacles. Cet homme,