Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/195

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les endroits plus nombreux où la nature n’avait pas posé son cachet, par des bornes, des bureaux de douanes, des forts et des postes, ouvrages des hommes.

Comme l’enfant et l’aveugle aiment à donner une forme exagérée à une pensée qui les frappe vivement, ainsi moi, qui n’avais jamais quitté mon pays, je me représentais l’étranger avec quelque figure monstrueusement difforme, une barbe rousse, une peau graissée, des mœurs féroces, une ignorance et un costume de barbare. Il me semblait que de grandes différences devaient exister entre des hommes qu’on sépare comme des pestiférés. Et comme l’on m’avait répété sans cesse que les Français étaient supérieurs aux autres peuples, je me figurais qu’un Suisse était un homme des bois.

Voilà pourtant le déplorable résultat qu’amènent les préjugés nationaux et l’éducation universitaire. Par tous moyens, par les jouets qu’on met entre leurs mains, par les chants qu’on leur apprend, par les récits fantastiques des guerres, par les tableaux, par le théâtre, les arcs de triomphe et les colonnes qu’on leur fait admirer, par l’histoire qu’on leur enseigne à réciter comme un hymne constant à la gloire nationale, on donne aux enfants les notions les plus fausses sur l’humanité. On leur apprend à ne voir dans les autres peuples que des fonds de tableaux qui font ressortir l’illustration du leur ; on leur enseigne la haine et le mépris pour l’étranger.