Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/209

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Alors, je regardais les pointes des nuages se pencher sur les vagues des torrents, le ciel embrassant la terre, les sapins inclinant leurs cimes les unes vers les autres, les corolles des fleurs unies, l’arc-en-ciel se mariant avec l’écume de la cascade, le chamois bondissant autour de sa femelle, et l’aigle, adouci comme une colombe, caressant sa compagne de son aile fauve. — Et je me disais que l’amour est le père de la vie, et que je serais encore heureux, dans mon exil, si je le partageais avec une femme aimée.

Et depuis… depuis j’ai vu des femmes former des groupes infâmes devant des adolescents dont les yeux étaient flétris comme les fleurs qui couronnaient leurs têtes. J’ai vu ces houris de la débauche, les seins ruisselant de sueur, l’œil égaré et les cheveux épars, danser d’atroces bacchanales. Leurs lèvres étaient tachées de vin, leurs voix rauques, leurs paroles obscènes, et des exhalaisons nauséabondes s’échappaient de leurs corps couverts de lèpre. Depuis aussi, j’ai pu voir à nu les âmes des femmes du monde, réputées meilleures que ces pauvres filles, et je les ai trouvées plus hideuses. Car ces femmes, qui ne connaissent pas les angoisses de la faim, se vendent pour des plaisirs frivoles, des chiffons éclatants, des richesses mal acquises, de vains honneurs, une loge au théâtre, un équipage ou une couronne. Elles se vendent à la vie et à l’heure, à des idiots comme à des impuissants, comme à des vieillards. Et