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MAL DU PAYS — OISIVETÉ — MOUCHARDS.


Je veux dire les plus grands malheurs de l’exil : le mal du pays, l’oisiveté et les mouchards.

Parmi les femmes des proscrits, il en était une dont la vue arrachait des larmes. Elle avait à peine vingt-cinq ans, de grands yeux rêveurs, des traits amaigris, une taille frêle, des narines minces, et des doigts effilés. Et ces yeux pleuraient sans cesse ou restaient attachés sur les personnes avec une fixité morne ; cette taille s’était affaissée ; ces traits, ces narines, ces doigts se flétrissaient chaque jour davantage. Quand elle parlait, il semblait entendre une voix de jeune fille sortir d’un tombeau. Quand on l’interrogeait, elle n’écoutait pas, répondait au hasard, et ne pouvait réprimer un mouvement d’impatience involontaire.

Son âme était ailleurs. Sa pauvre âme ! elle était tout entière à la petite ville de Louhans où elle était née, où elle avait été fille chérie, épouse bien-aimée, mère tendre et bonne ; où ses vieux parents étaient restés seuls. Là était son univers, sa joie ; elle ressemblait, la pauvre femme, à un enfant qui aurait grandi sans détacher 118 les yeux de la terre natale. Que lui voulaient les lacs bleus, les grandes Alpes, les glaciers, les chalets et les costumes suisses ? Depuis un an qu’elle parcourait Genève dans tous les sens, elle ne savait pas encore le nom d’une seule rue, elle n’avait vu ni