Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/243

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« Lui et moi nous dinâmes dans un cabinet particulier. À la fin de ce repas qui fut long, je sentais mon cerveau fermenter dans mon crâne, comme le vin dans un tonneau longtemps resté vide. J’étais joyeux, je rêvais liberté, je chantais !

129 — « Tu as bien dîné, toi, murmura l’homme infernal, mais que « font à cette heure ta femme et tes enfants ? » Ces paroles résonnèrent dans mon cœur comme la trompette du jugement, les heureuses vapeurs du vin se dissipèrent, je me rappelai mon horrible situation. Je me tordis les mains, je m’arrachai les cheveux : je ne devais pas manger, criai-je. Qu’ai-je fait ? Maintenant, je vais rentrer, et je leur dirai qu’il faut jeûner encore jusqu’à mourir. Et de mes deux mains je me cachai le visage.

— « Sois tranquille, reprit l’homme, je leur donnerai tout ce « qu’il faudra. » — J’embrassai ce misérable, et je le bénis. — Beyer, n’as-tu jamais lu Faust, et ne sais-tu pas que l’homme au désespoir finit par s’éprendre de la laideur du diable ?

« Alors, l’homme : — Je t’ai sauvé, en retour tu peux me rendre un service. » — « Prends ma vie, lui dis-je. » — « Je ne te demande pas tant. Je ne sais pas bien écrire, et pour cela je manque de gagner beaucoup d’argent. On m’a demandé ces jours derniers un rapport statistique sur les départements du Haut et du Bas-Rhin que tu connais mieux que moi. Veux-tu le faire ? Nous partagerons la récompense que donnera l’administration. »