Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/244

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— « Quel rapport ? quelle récompense ? quelle administration, lui demandai-je ? Je te dois tout, mais non pas l’honneur. Et un nuage passa devant mes yeux, et j’essuyai la sueur de mon front. Car je sentais que cet homme exigeait de moi des choses inconciliables avec ma propre estime. — « Eh ! qui donc en veut à ton honneur ? Suis-je donc un mouchard ou un entremetteur ? Il s’agit simplement de fournir à l’administration civile de la police un travail statistique, administratif et moral sur l’Alsace ; cela n’a rien à voir avec tes opinions politiques. Il y a une grande différence entre le département administratif et le département politique de la Préfecture. Profiterais-je donc de ta misère pour te proposer un infâme marché ? » J’hésitai, je tremblai. Et puis l’homme venant à me reprocher mon ingratitude, et à me marchander la vie de mes enfants, je consentis à tout ce qu’il voulut. Je fis le rapport, et nous le portâmes ensemble à la Préfecture.

« De ce jour, ce fut fait de moi. Le rapport était signé de mon nom, je ne pouvais le nier, et l’on me menaçait de le rendre public, si je refusais d’entrer dans la police secrète. J’aurais voulu tuer 130 l’infâme instigateur qui m’avait perdu ; mais je ne le revis plus, on avait su le soustraire à ma vengeance.

« C’est ainsi que je devins mouchard. Le sentier de la honte n’aboutit jamais, ajouta-t-il avec un profond soupir. Dès qu’il s’y est engagé, l’homme marche, [marche en] avant sans pouvoir reculer