Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/287

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qui brise dans sa rage les grands bateaux à vapeur, porte à grand peine au lac des trains de bois flottants.

À droite, la route, poudreuse l’été, submergée l’hiver, torride six mois, et six mois glacée ; longue, éternelle, sans perspective, étroitement serrée contre le rocher ; puis s’échappant par Saint-Maurice et par Martigny, et déroulant ses replis onduleux au milieu des belles campagnes du canton de Vaud et du haut Valais.

Entre la route et le fleuve enfant s’étalent des prairies qui ne produisent rien qu’une herbe large et tranchante, dédaignée des troupeaux, et quelques touffes de joncs jaunis par le soleil. Çà et là des chevaux étiques cherchent leur vie au milieu de cette 158 végétation ingrate. Et puis des marécages habités par la fièvre au teint gris et la poule d’eau pesante ; séjour de mort que fuient à tire d’ailes la grèbe au riche plumage, le canard rapide et le joyeux plongeon.

Depuis longues années la civilisation traverse ces déserts, mais elle n’y séjourne pas plus de temps qu’il ne lui en faut pour parcourir la route infléchie. Il semble que manquant de confiance en elle-même, elle hésite à engager sa dernière lutte avec la nature retranchée dans ce suprême asile. De mauvaises auberges ont été bâties contre le rocher ; les rapaces vaudois s’y sont installés, comme les martinets dans les crevasses des vieux murs, et le voyageur leur jette dédaigneusement les plus usés de ses écus.