Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/171

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la vue du grand lac et des montagnes hautes va me serrer le cœur. Mais notre âme est ainsi faite qu’il est des peines que nous recherchons plus avidement que des voluptés. Et j’ai besoin d’étendre mon corps sur ces belles eaux tant aimées, j’ai besoin de leur dire un adieu suprême, un long adieu ! Tout m’a trompé fors la nature.


— Triste est le cœur de l’homme qui ferme la paupière de sa mère adorée ! Triste est le cœur de l’homme quand ses lèvres muettes pressent une dernière fois les cheveux de son amie ! Triste est le cœur de l’homme s’il regarde à travers ses larmes les collines verdoyantes du beau pays qu’il aime et dont il est chassé !

Oui, chassé, traînant, roulant par terre comme la feuille que foule le bétail ! Chassé de la montagne, chassé de la vallée, 95 chassé du bord des eaux, moi le libre penseur, par d’officiels griffonneurs de papier !


… Lentement, lentement je me déshabille. Tout semble si sublime à mon âme attendrie ! J’aime, je pleure tout, je voudrais tout baiser, tout revoir ! Herbe fraîche de la prairie, blanc sable de la rive, doux murmure des saules et des peupliers, caresses de la vague et de la brise, jamais mortel ne vous a respirés, ne vous a regrettés plus que moi !


Foi de bohémien, c’est un beau soir. Drapés de leurs amples manteaux soyeux comme le velours,