Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/373

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gner dans cette poursuite ingrate et que cette bête n’est bonne à rien ; réponds-leur qu’elle est nuisible à beaucoup de monde et que personne ne peut perdre à sa mort. Réponds-leur qu’elle t’irrite, que tu vois dans tes rêves ses pattes écailleuses, son bec luisant, ses yeux durs, vifs, noirs, toujours éveillés pour le carnage. Dis-leur qu’on la rencontre derrière les armées, les loups et les vautours, les encourageant au massacre. Dis-leur qu’il est temps d’étancher le sang répandu par la tyrannie, de soigner les blessures, de fermer les plaies, de donner aux cadavres les sépultures qui leur conviennent, d’en finir avec les races barbares et oiseuses, avec les oiseaux de rapine qui, sur les autels, les trônes et les barricades fouillent, dans les entrailles des hommes, la nourriture de leurs couvées hideuses !

» Ils t’accuseront de superstition, d’illuminisme, de révolte : laisse-les dire. Les attractions commandent les destinées ; le bœuf suit le sillon, le chien reste à la chaîne, le banquier genevois ne se préoccupe guère de l’avenir. Mais le taureau bondit sur l’épée, le loup vit de la chasse, et le prophète considère le temps qu’il traverse comme une goutte d’eau sur les mers.


» Si je t’ai semblé belle et digne d’un amour violent, gagne-moi donc. Marche, écris, dépense ton existence dans les luttes civiles, sois vainqueur des propres défaillances qui paralysent ton essor. Si tu as vu briller dans mes regards le feu sacré