Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/376

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parcours. Ne multiplie pas trop les occupations de ton esprit ; souviens-toi de ne pas trop étreindre afin d’embrasser mieux.

» Le chardon trace dans les champs fertiles, le houx aux dents barbares trouve sa place au milieu des coudriers, parmi le muguet blanc se glisse la vipère. Ainsi dans tes cheveux noirs se sont glissés déjà quelques fils d’argent. Prends-y garde. À ton âge les cheveux ne blanchissent que sous les préoccupations, ainsi que le foin sous la pluie. Comme sont les hommes, accepte-les, et le temps comme il vient, et les idées quand elles passent. Le philosophe doit s’armer de patience comme le chasseur à l’affût.

» Clair est ton œil, mais noirs les voiles qui l’entourent. Et nous, quand nous passons près des sources d’eau vive, quand nous voyons les prêles et les cressons y pousser trop touffus, nous les arrachons. Car nous savons que la fontaine chanteuse disparaîtrait bientôt sous leur feuillage et que les champs d’alentour en seraient desséchés. Garde la lumière de tes yeux. Si tu venais à la perdre, tu ne trouverais pas sur terre d’étincelle pour la rallumer. Et privé de ses guides, ton esprit ne saurait plus se figurer ni la beauté des univers ni la laideur des hommes. Et tu ne verrais plus ni la fleur du froment ni la couleur du vin !

» Ta bouche est contredisante, ta lèvre dédaigneuse ; ouvre-les rarement dans les assemblées. Trop gratter cuit, trop parler nuit. L’homme se