Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pourquoi cette digression ? Pour trouver moyen de vous dire que j’aime les hirondelles, que souvent je me suspends à leurs ailes démesurées afin de parcourir plus de temps et d’espace, et que je crois gagner ainsi bien des heures.

Pourquoi je les aime tant, ces petites bêtes noires que bien des gens redoutent, je me le suis demandé souvent, et à chaque fois je me faisais une réponse qui me les rendait plus chères encore. C’est toujours le contraire qui m’arrive pour les hommes.

Je les aime parce que leurs chants me consolaient, enfant, quand on m’avait grondé. Je les aime parce qu’elles me tenaient compagnie dans la mansarde, au temps des études ingrates. Je les aime parce que, sous tous les cieux où me conduit l’exil, je les retrouve voyageuses, travailleuses, libres comme moi, comme moi s’approchant des hommes, mais ne se mêlant point à eux. Je les aime parce qu’elles sont vives et alertes, parce qu’elles font de longs vols sur les montagnes, les vallées, les eaux et les abîmes, sans jamais s’arrêter. Je les aime quand elles gazouillent à mes fenêtres et que je suis avec ma plume la mesure de leurs chants. Je les aime parce que je ne puis les voir sans songer à l’amour, au travail, à l’indépendance, aux voyages, à l’avenir, à tout ce qui nous console, nous élève, nous détache de l’instant et du lieu qui retiennent nos corps. Je les aime et je prends plaisir à me figurer que,