Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/62

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tes, brisant sur son passage les branches des amandiers. Devant elle fuient les oiseaux joyeux et les rameaux épanouis. Quand elle veut plonger ses pieds noirs dans le ruisseau clair, l’eau se sauve et murmure. Et quand elle tend ses bras amaigris vers les cieux, leur profond 24 miroir se couvre de nuages, et la tempête éclate sur la nature tremblante.

Affreuse disposition de mon âme ! C’est toujours au printemps que je souffre le plus ; c’est toujours quand tout renaît, sourit et joue dans le jeune soleil !

Hæret lateri lethalis arundo !


Et le Spleen taciturne, aux doigts palmés, le vampire gigantesque, l’ennemi du sommeil, qui s’éveille trois heures avant le jour pour me déchirer et me dire : me voilà !… que de fois je le vois ! Il s’étend sur mon corps, colle à ma bouche ses lèvres verdâtres, remplit ma gorge et ma poitrine de lave en fusion. Il passe son ongle sale autour de mes yeux et les fait saigner à travers leurs paupières. Il pose sa main de plomb sur mon foie qu’il comprime et rapproche mon estomac de mes vertèbres. À mes côtes, à mes épaules il aiguise ses dents puantes, fuligineuses. Il me cloue sur ma couche, et je ne puis bouger, et je ne puis me plaindre !

Oh rage ! chacun trouve son maître. Moi, je ne crains pas Dieu, moi, je ne crains pas l’homme ; mais je suis la proie du mal.

Hæret lateri lethalis arundo !