Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

préfectures, mendiez, pillez, assassinez en risquant votre vie, sous le chaud soleil, par les nuits étoilées. Mais ne vous mettez pas cent contre un ; mais ne torturez pas ainsi, dans le silence d’un cachot, une noble femme que votre vue fait mourir de dégoût, et qui vous cracherait son cœur à la face, si elle n’avait peur de se salir en expirant !

Ô siècle dix-neuvième d’âge, mais dernier de fierté, triste siècle dans lequel ma vie se consume misérablement, siècle de promiscuité de toutes personnes et de renversement de tous principes ! Tu rapproches les âmes les plus pures des consciences les plus noires : dans les prisons, le citoyen libre du mouton de police ; dans l’exil, le proscrit du mouchard ; dans les hôpitaux, le poète qui meurt de faim de l’entremetteur qui meurt de débauche ! Et rien ne saurait épargner aux hommes fiers ce contact flétrissant, odieux, quotidienne souillure, plus brûlante que la morsure du fer rouge, plus corrosive que la dent grise du temps ! Et je n’en parle que pour l’avoir senti !

Hélas ! le soleil devient pâle, les saisons incertaines, les climats incléments et les fruits sans saveur ; les hommes n’ont plus ni santé ni caractère. Tous ceux qui tranchent encore sur le fond uniforme de nos sociétés, soit par l’excès du bien, soit par l’excès du mal, tous ceux-là sont associés dans une exception commune, enveloppés dans une même réprobation. On torture les premiers parce qu’on redoute leur franchise et leur courage ; on gonfle les seconds parce qu’on craint leur ruse et