Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/305

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ai souvent demandé comment ils pouvaient la subir. Oui, j’ai eu ce courage.

Eux m’ont fait la plus éloquente des réponses ; ils ont pris leurs enfants dans leurs bras et les ont embrassés. Et ces pauvres petits souriaient si doucement, leurs pères les aimaient tant, ils se consolaient si souvent près d’eux et de leurs mères, que j’ai gardé pour mon âme les tristes réflexions qui m’obsédaient.

Je pensais : Pourquoi le pauvre aime-t-il quand le riche ne lui en laisse pas la faculté ? Pourquoi le travailleur anime-t-il la poussière du souffle de la vie ? Pourquoi reproduit-il son image désolée ? Ne l’a-t-il pas vue bien triste, bien plaintive dans les ruisseaux grondeurs ? N’a-t-il pas trop souvent médité d’en finir au fond des verts abîmes ? Pourquoi donc se créer à lui-même de 462 nouvelles tortures ? Pourquoi donner, avec la lumière, le funeste don de souffrir à des êtres qui le lui reprocheront un jour ?…

Damnation ! À notre époque maudite, la vie naît abondamment de la misère ; elle la recrée, l’entretient, la développe, la fouette, la provoque. Et telle est la fatalité de la situation, qui ni l’une ni l’autre ne peuvent céder, qu’elles ne cesseront pas de s’embrasser, de s’engendrer. Telle est la malédiction, que du travail forcé renaîtra sans cesse l’attrait à l’accouplement, le besoin de consolation qui attire les sexes l’un vers l’autre.

Cercle infernal ! Hélas pourquoi la fécondité, le travail, l’existence, tout ce qui devrait nous ren-