Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/319

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débris égaré de festin somptueux. Quand le soleil est chaud, ses rayons bienfaisants arrivent aux plus pauvres ; quand la moisson est abondante, les derniers trouvent à glaner à côté des premiers. Tel était le sort des serfs du moyen-âge, et peut-être étaient-ils moins à plaindre que les libres prolétaires de mon temps.

Mais, dans les capitales de second ordre où l’industrie vient de naître, dans des pays comme le Piémont où la récolte du champ commercial suffit à peine au riche, que reste-t-il au travailleur ? Que peut être la misère issue de la médiocrité, quand celles de Londres et de Paris, filles de l’opulence, sont déjà si déguenillées, si grelottantes et affamées ?

Ce qu’est la misère à Turin, je voudrais le faire comprendre ; mais ni moi ni d’autres n’y parviendront. Il faudrait pour cela pouvoir décrire la marche défaillante de la mort, sa maigreur osseuse, ses longs jeûnes, son insatiable appétit, sa désolation muette, son rare sommeil, ses dents longues, ses creuses orbites, sa nudité ! L’ouvrier piémontais ne vit pas, ne végète pas même ; c’est un spectre, un revenant ; il s’entretient des larmes que lui font verser les hommes qui l’approchent et des terreurs qu’il cause aux femmes, aux enfants qui ne le connaissent point !

Amère douleur, honte ineffaçable, forcée, fatale aujourd’hui que ce barbare sacrifice de victimes humaines ! Lèpre hideuse que cette misère, surtout quand elle sévit sur des sociétés jeunes et