Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/333

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Le char de la Peine est de fonte brute, celui de la Faim de sapin desséché, celui de la Fécondité maudite de peuplier tout vert, celui de l’Épargne de cuivre massif, usé par le frottement.

Ces chars sont traînés par huit chevaux maigres, au poil roux et long, aux jointures incendiées cent fois. Leurs gencives sont verdâtres, le fouet a laissé sur leurs robes mille stries pelées. Ils toussent, écument et fléchissent à chaque pas ; les chars sans ressorts grincent comme des scies qu’on n’a jamais graissées.

Chacune des Déesses fatidiques porte ses attributs dessinés sur sa robe : la Peine, des fagots d’épines et des poignées d’orties ; la Faim, des déserts de sable et des mers sans rivages ; la Fécondité maudite, des troches de chiendent ; l’Épargne, des ongles crochus et des becs de vautour !

Les drapeaux du roi s’avancent, du roi des Enfers !


479 J’ai vu les armées des rois en marche pour la guerre ; elles étincelaient d’acier et d’or ; elles partaient, joyeuses, aux fanfares des clairons ! — C’était aussi pour l’abattoir !…

Mais du moins, brillantes victimes, elles étaient parées comme pour des fêtes ; dans les champs du Carnage qu’elles allaient ensanglanter poussaient quelques tiges de laurier vert ; sur l’autel du Nationalisme où elles tendaient la gorge, s’élevait le hideux squelette de la Mort, mais caché sous des rubans, des croix et des hochets d’enfant.