Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/381

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voisines m’apparaît un croissant de feu semblable au disque de la lune en son premier quartier. Peu à peu ce croissant s’allonge, se rétrécit et s’étire en une faulx tranchante. Puis se dégagent successivement, de derrière la montagne, de longs cheveux gris, un front chauve, des traits si vieux qu’ils semblent se dissoudre, un vieillard démesurément grand qui porte écrit en lettres de lumière son nom sur sa poitrine. Je frotte mes yeux pour mieux y voir et je lis : le Temps, fidèle serviteur de la Révolution.

En ce moment l’aspect de la fosse commune change. L’Esprit des transformations passe dessus, et du bout de son aile y sème des étoiles. À l’instant même, les boîtes de sapin s’allument et se tordent dans les flammes sans plus de résistance que des feuilles sèches. Pendant qu’elles pétillent, le Temps s’écrie de sa voix enrouée :

« Mon bras maigrit à la tâche, mais il ne se fatigue jamais. Il n’y a plus une goutte de sueur sous la peau de mon front, mais je n’en suis que plus dispos à mon éternel travail. J’ai desséché plus de mers, submergé plus de continents qu’il ne reste de cheveux à ma tête ; je croque les empires comme des feuilles d’artichaut ; et quant aux hommes, je disperse leurs cités aussi facilement que des fourmilières. Cependant plus j’avance dans ma carrière sans fin, plus mes labeurs sont pénibles, plus rares sont mes heures de repos. La Révolution, toujours jeune, éventre ses vieux serviteurs sans plus de pitié qu’un piqueur son che-