Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/403

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sans la devancer jamais ; aime à son heure, et non pas à la tienne ; elle saura te conduire à travers les écueils du monde et sur l’abîme des eaux. Ne lui demande ni le temps qu’il fait, ni l’heure qui sonne. Eh ! qu’importe la vie de ton corps, si ton âme est joyeuse !

» Viens ! L’univers est beau, le firmament est pur : l’onde est légère aux rames, et facile au bateau qui la fend de sa proue ! »


II


La surface des eaux est unie comme une glace de Venise ; le ciel y reflète les plis de sa robe d’azur, les mille dentelles de ses nuages blancs, ses horizons noirs d’orages. Au fond du lac reposent les ombres des Alpes, colossales guerrières vaincues dans les déluges et couvertes depuis par le linceul des neiges. Dans le lointain courent les barques avec leurs voiles déployées, leurs voiles latines qui fendent l’air comme des faulx tranchantes.

Je m’élance, avec celle que j’aime, sur la plaine inconstante. Les flots nous balancent dans leurs baisers humides ; ils écoutent la cadence de nos rames et s’écartent, dociles, pour nous laisser passer. Sur les hautes cimes la Tempête en délire secoue sa crinière frémissante. Oh laissons la rugir ! Aimons-nous, aimons-nous !

Que m’importent le nom de ces montagnes et la partie du monde où me surprend une seconde