Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/437

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d’honnête homme ! Je te défie de me rendre malheureux tant que je sentirai ma main dans la main de mon ami, mon cœur battant sur le cœur de celle que j’aime, tant que les rêves des nuits m’apporteront, sur leurs ailes d’or, le gracieux sourire d’une mère qui ne me fit jamais souffrir que par excès de tendresse ! Je te défie d’empoisonner ma vie en me faisant douter des attachements qui m’ont tendu la main lorsque j’étais au plus profond du gouffre de misère, de calomnie, de désespoir !


Ne perds donc plus ton temps, Pouvoir, à t’acharner sur qui te méprise. Poursuis plutôt ton chemin glorieux ; prends Sébastopol et Moscou, guerrier redoutable ! Prends la lune aussi, avale la mer et ses poissons, Gortschakoff, Mourawieff, le Tsar, le grand Constantin et leurs navires pleins de moëllons : mange tout, digère tout, et que leurs arêtes te soient légères ! Retiens aussi le soleil sur la pente du Couchant ! Tout t’est permis, tout t’est possible. N’es-tu pas l’invincible, le terrible, le grand vainqueur qui, d’un tour de ton sabre de bois, d’un bout de l’Europe à l’autre, dispersas les innombrables bataillons des proscrits, comme autrefois la jument de Gargantua dispersait, de sa queue formidable, les mouches bovines qui la gênaient dans sa marche triomphale ? Tiens, Pouvoir mon ami, si jamais tu reviens de Crimée, je te paie un aigle vivant pour chanter tes exploits…