Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/209

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qu’à causer ; mais quand une partie de la société se fut retirée et qu’il ne resta plus que les intimes, il se mit au piano et, se sentant en verve, improvisa ce qu’il appelait de petites histoires musicales.

« Ses auditeurs l’écoutaient, suspendaient leur haleine tandis que lui, perdu dans ses pensées, les yeux sur son clavier, les oubliait entièrement. Quand il eut fini, relevant la tête, il vit, appuyée sur le piano, une dame, simplement vêtue, qui fixait sur lui des yeux noirs et ardents et qui semblait vouloir lire dans son âme.

« Tandis qu’il se sentait rougir sous le regard fascinateur, elle souriait, et comme il quittait son siège pour se dérober derrière un groupe de camélias, il entendit de nouveau le frôlement d’une robe de soie et le parfum des violettes : la même dame qui venait de le regarder avec tant d’attention s’approchait de lui, accompagnée de Liszt. Elle lui adressa d’une voix profonde et harmonieuse quelques paroles de louanges sur son jeu et surtout sur son improvisation. L’artiste, ému et flatté, l’écoutait en silence… »

La prise de possession était complète, absolue, mais ce fut une possession où, selon l’expression imagée de Rémy de Gourmont[1], l’incube ne fut pas le frêle musicien.

  1. Les Amours de Chopin et de G. Sand (Mercure de France, juin 1900).