Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/46

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et si c’était la rançon de son génie, de quel prix la cruauté du Destin le lui faisait-il payer !

Il ne blasphémait pourtant qu’avec modération. « Si on pleure sur la terre, lui avait souvent répété sa mère, c’est que Dieu console dans le ciel. » Devenu aveugle comme Milton, Heine se contentait de soupirer : « Dieu doit me regarder avec plus de tendresse et de compassion depuis que je ne peux plus voir que lui. »

Ce n’est pas l’auteur de l’Intermezzo qui aurait fait de difficulté à proclamer, avec un autre poète, que : « Ce qu’il y a de meilleur dans l’esprit humain, c’est l’esprit divin. » Malgré tout, il ne pouvait parvenir à croire que tout n’est que matière, celui que la muse inspiratrice avait baisé au front[1].

  1. En réalité Heine croyait à une Divinité, mais il restait absolument réfractaire aux cérémonies du culte. Une anecdote, entre bien d’autres, le prouvera. Un jour, la princesse de Belgiojoso, qui revenait d’Orient, où elle avait visité Jérusalem, lui rendait visite. À entendre l’intérêt chaleureux avec lequel Heine s’informait de ce voyage en Terre Sainte, la princesse se méprit et crut saisir une lueur religieuse chez le malade. Elle parla de l’abbé Caron, très en vogue à cette époque, et proposa de l’amener ; par politesse plus que par conviction assurément, Heine consentit à recevoir l’ecclésiastique.
    Après deux ou trois visites de l’abbé, Heine dit à une de ses amies : « La princesse m’avait amené l’abbé Caron, vous le saviez ? (Prenant un air de componction :) Il avait éveillé quelques velléités religieuses ; (puis en riant :) mais, décidément, je reviens aux cataplasmes. Le soulagement est plus immédiat ! »