Page:Cadiot - Elisabeth Verdier.pdf/150

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» Je te dirai tout… ce sera le moyen de te faire comprendre quelle succession d’événements et de pensées… quelle ivresse enfin m’ont empêchée de parler d’abord, de te voir ensuite quand je l’aurais pu ; puis de t’avouer l’insigne folie qui me rend souverainement heureuse !

» Tu sauras donc que ma situation au Havre et vis-à-vis de mon mari était devenue insoutenable. Mais tu le savais alors… J’avais crié dans ton cœur mes angoisses ; je t’avais fait pressentir ma perte imminente si tune venais à mon secours. — Eh bien ! à ce vase plein jusqu’aux bords, ajoute une goutté d’eau ; dans cette vie précaire fais surgir un incident, minime en lui-même, infini quant à ses conséquences ; représente-toi enfin une position désespérée et une passion folle.

» Alors, dans mon imagination, passa une de ces idées tellement étranges, tellement impossibles, qu’on ne saurait les communiquer à qui que ce soit, parce que le devoir de ce confident serait de vous faire à l’instant enfermer aux Petites-Maisons, ou, au moins, à tout prix, de vous empêcher de l’accomplir ; parce qu’enfin, soi-même, on n’y peut arrêter sa pensée sans prendre le vertige… Je ne l’ai dit à personne… pas même à lui !

» Curtius se précipitant dans le gouffre, Sapho s’élançant du haut du rocher de Leucade n’ont pas dû avoir de confident… Il me semble au moins, si je juge la nature humaine en général par ma nature particulière, que toutes les actions audacieuses ou magnanimes, toutes les tentatives dont le résultat doit être sublime ou ridicule, ne peuvent être exécutées que de prime-saut, et conçues que par une initiative unique et responsable…