Page:Cadiot - Minuit.pdf/128

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

après avoir savouré les joies de la richesse. Il se mêla aux promeneurs oisifs, aux femmes élégantes, remarquant, d’une part, les toilettes gracieuses et la démarche hère de ceux qui abordaient ces reines de la mode ; de l’autre, saisissant au voiles paroles gelées, comme disait Rabelais.

— As-tu dix louis à me prêter ? demandait un jeune homme à un autre ; — je suis sorti sang argent, je dîne avec Lucie, et nous allons au théâtre après.

— Quel mantelet vous avez là, ma chère, et quelle dentelle ! disaient plus loin deux femmes entourées d’un groupe d’admirateurs.

— Oh ! rien ! du Chantilly bien simple, mais pas cher, par exemple ! — cinquante francs le mètre.

— J’ai perdu hier quinze cents francs au lansquenet.

— Diable !

— Bah ! j’en avais gagné deux mille le mois dernier !

Naigeot, abasourdi par le bruit des voitures, les lumières, le bourdonnement de la foule, recueillait avidement ces lambeaux de phrases, et, malgré son trouble, réunissait toutes ses facultés de teneur de livres, pour construire des fortunes fantastiques sur ces chiffres jetés au hasard.

Il calculait avec épouvante combien de mille livres de rente il fallait, pour dîner avec Lucie, pour donner à une femme des dentelles qui valaient au moins cin-