Page:Cadiot - Minuit.pdf/136

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manda-t-il ; à haute voix, en s’approchant d’un groupe de gens, qui discutaient le cours des denrées coloniales.

À ce nom, tous les interlocuteurs s’interrompirent et regardèrent le nouveau venu avec stupéfaction. Une grande femme blonde, toute vêtue de noir et qui prenait à la discussion une part active, se retourna vivement vers lui :

— Nous avons eu la douleur de perdre M. Naigeot, Monsieur, dit-elle d’une voix brève et altérée par une émotion imprévue. — Mais je continue les affaires de mon mari et vous pouvez vous adresser à moi pour tout ce qui tient au commerce : commande ou recouvrement, réclamation, courtage ou toute autre chose. Veuillez passer au fond du magasin et, en m’attendant, vous expliquer avec ces messieurs qui sont à écrire, là-bas, dans ce bureau vitré. J’irai vous joindre tout à l’heure.

Assurément, la foudre en tombant aux pieds de François Naigeot ne l’eût pas terrassé comme cette nouvelle qui bouleversait, d’un seul coup, tous ses projets, toutes ses espérances, tout son avenir. Il regardait, sans la voir, cette femme au visage énergique, au geste prompt, au langage précis, qui devenait l’arbitre de son sort, et il tournait sur lui-même comme étourdi de sa chute.

Aux paroles si simples et si naturelles de sa belle-sœur, il avait senti le sol trembler sous ses pieds et tous ses châteaux en Espagne s’écrouler à la fois. Le Naigeot qui, tout à l’heure, foulait si fièrement la terre d’A-